Il y a des histoire qui commencent dans le sang, d'autres qui finissent dans le sang. D'autres même, qui trace une route sanglante tout au long de leur chemin.
L'histoire que je vais vous raconter ici n'a rien d'un conte. Ce n'est pas le genre d'histoire où les gentils triomphent des méchants, où les petites filles sortent vivantes du ventre d'un loup après que le chasseur les ait sauvé.
Cette histoire est celle de la vie réelle, celle d'un destin tracé à coups de couteau dans une route sanguinolente.
Voici l'histoire de Sanguine.
20 juin 2002, Manchester, Quartier pauvre, 00:30"C'est une fille! Je suis père d'une fille!"
Pleurant de joie, l'homme porta haut le nouveau né dans ses bras. Puis il le replaça délicatement aux cotés de sa femme épuisée. Celle ci passa un doigt plein de tendresse sur la joue de sa fille.
"Bienvenue parmi nous, ma petite Lily."
Une semaine plus tard, quelqu'un frappe à la porte d'entrée. L'homme va répondre. Deux hommes vêtus de noir se tiennent dans l'encadrement. L'homme pâlit.
Sans attendre d'invitation, les deux hommes le pousse contre le mur et entrent. Ils s'avancent vers l'escalier et montent à l'étage. L'homme les suit en essayant malgré lui de les chasser de sa demeure. Car il sait où vont les deux intrus. Implacablement, ils se dirigent vers la chambre où sa femme se remet encore de son accouchement. Il sait parfaitement pourquoi ils sont là, et il sait qu'il ne fait pas le poids face à eux. Mais il ne peut s'y résoudre!
Alors que les hommes arrivent devant la porte, il se jette devant et leur bloque le chemin de son corps. Le plus grand des deux l'attrape par le col et le soulève comme s'il ne pèse pas plus qu'une souris. Puis il le jette dans le couloir comme une serpillière.
"Non!" hurle l'homme en désespoir de cause "Hannah!"
Les hommes ouvrent la porte à la volée et entrent. La femme est là. Debout contre le mur, un couteau dans une main, sa fille dans l'autre, elle défit les intrus du regard.
"Elianne la sanglante, vous êtes en état d'arrestation, nous vous emmenons vous et votre fille." aboie l'un des deux intrus.
"Touchez à un seul de ses cheveux et je vous montrerai pourquoi l'on m'appelait "Elianne la sanglante"!" crache la femme en serrant davantage son enfant contre elle.
L'un des homme sort alors un long revolver de sa manche, et tire sans sommation. Elianne reçoit la balle dans le ventre. Elle vacille légèrement, mais se reprend vite et se jette sur son attaquant. Son couteau courbé tranche l'air, et la gorge de l'homme par la même occasion. Néanmoins l'autre sort une matraque de son manteau et lui assène un coup dans les côtes, qui a pour effet de lui en briser deux.
A bout de souffle la femme s'effondre, tenant toujours dans ses bras le bébé qui s'est mit à pleurer. L'homme avance une main pour le saisir, et la femme se redresse soudain et la lui tranche sans plus de cérémonie.
Hurlant, l'homme s'affale contre le mur en tenant son moignon sanguinolent. Le mari de la mère blessée accourt pour la relever mais elle l'en empêche et lui tend l'enfant.
"Arris, sauve la, sauve notre fille! Je vais le retenir!"
L'homme regarde sa femme, les larmes aux yeux, la mâchoire serrée. Elle se penche vers lui, l'embrasse, et lui remet son couteau entre les mains en même temps que son enfant qui ne s'arrête plus de pleurer.
Elle embrasse ensuite sa fille.
"Adieu ma Lily, je t'aime."
L'homme jette un dernier regard à sa femme qui se relève pour affronter de nouveau l'homme au moignon. Puis il tourne les talons et s'enfuit, sa fille hurlant dans ses bras.
Dehors, il pleut dru. L'homme ne s'arrête pas de courir, protégeant sa fille des intempéries en l'entourant de ses bras.
Il tourne une rue, puis une autre, traverse un pont, saute par dessus un muret...
Soudain il se retrouve face à eux. Les hommes en noir lui barrent la route, leurs silhouettes se découpant dans la pénombre des rues mal éclairées. Arris ne réfléchit pas, il tourne à droite dans une ruelle et continu de courir. Les hommes le suivent, ils sont rapides...
A ce moment, Arris comprend que pour lui c'est fini, il ne s'en sortira pas non plus. Il jette un regard à sa fille qui a fini par s'endormir, bercée dans ses bras. Il faut au moins qu'il la sauve. Il DOIT sauver sa fille!
Tournant à toute allure une autre ruelle, il se dissimule derrière des bennes à ordures. Son plan marche, les hommes passent en courant sans s'arrêter.
Il revient sur ses pas, tourne une autre rue et se dirige sans s'arrêter vers l'église la plus proche. Il y entre à toute allure, jette un oeil aux alentours. Personne, une chance. Il s'avance vers un banc et y dépose sa fille en prenant soin de l'envelopper confortablement dans ses langes. Puis, le coeur serré et la peur au ventre, il embrasse sa fille et sors en vitesse de l'église. Il devait attirer les hommes loin d'ici... Même s'il savait que seule la mort l'attendait, il avait sauvé Lily, c'est tout ce qui comptait... Le bébé quant à lui se retourna dans son sommeil et referma sa petite main sur le couteau courbé que son père avait laissé à ses cotés...
5 avril 2007, Londres, Orphelinat de St Charles, 15:10"Ce n'est plus possible! Nous ne pouvons pas continuer comme ça!"
L'homme chauve et âgé soupira et se gratta le cou comme à son habitude. Il tentait d'apaiser la discussion depuis une bonne demi-heure. Mais c'était peine perdue il le savait, les professeurs étaient plus terribles que des pies jacasseuses lorsqu'il s'agissait de l'avenir d'un enfant. Surtout lorsque l'enfant en question était la petite Lily Evans.
"Cette enfant est un danger publique! C'est une maison de correction qu'il lui faut, pas un orphelinat ! Si nous continuons à passer l'éponge, notre réputation en prendra un coup!"
"La petite Lily a besoin d'un soutien, pas d'une expulsion !"
"Vous risqueriez la vie de nos pensionnaires pour aider une enfant turbulente ?! Hors de question ! Monsieur le directeur, nous ne pouvons nous permettre de la garder vous le savez !"
L'homme à la calvitie soupira encore. Il savait ce qu'il devait faire, la situation l'exigeait s'il voulait maintenir son autorité sur ses professeurs. Il se leva donc et prit enfin la parole:
"Je pense avoir entendu vos arguments à tous. Je m'occuperai du reste, vous pouvez disposer. Et envoyez moi Lily."
Les professeurs quittèrent la salle. Alors que le directeur se rasseyait, une petite silhouette fine et rousse entra et alla s'asseoir devant lui.
"Mademoiselle Evans. éluda le directeur en observant la fillette qui lui lançait un regard scrutateur. Vous savez sans doute pourquoi je vous ai convoqué."
La petite fille fit la moue.
"C'est lui qu'a commencé, il m'a dit que j'étais petite et que c'était lui mon chef. Et c'est pas vrai, c'est pas mon chef!"
L'homme marqua un temps de silence puis reprit la parole.
"Ceci n'est pas une raison suffisante pour justifier vos actes. Le jeune monsieur Douglas s'est fait hospitaliser avec dix-huit points de sutures, après que vous l'ayez jeté par dessus la rambarde. C'est une faute grave. Sans compter les nombreux autres blessés qu'il y a eut à cause de vous. Je suis désolé ma petite, devant l'absence de progrès de votre part, je suis dans l'obligation de vous renvoyer."
Lily garda le silence. Ce n'était pas la première qu'elle se faisait expulser d'un orphelinat. Il est vrai qu'elle avait un caractère impulsif, mais elle se faisait toujours provoquer aussi ! Tant pis pour cet orphelinat à la noix, elle l'aimait pas de toute façon.
Le lendemain, ses quelques bagages en main, Lily quitta son septième orphelinat et fut envoyée à Southampton au sud.
Doucement, le destin sanglant de Sanguine commençait à se tracer...
17 mai 2011, Southampton, rues du quartier est, 11:02Lily marchait dans les rues de la ville, sans but, juste pour le plaisir. Elle en profitait généralement pour voler au passage les objets qui attiraient son oeil. Une broche... Un jolie mouchoir... Un couteau suisse... Mais là elle était surtout occupée à jouer avec son couteau courbé qui ne la quittait jamais. Elle le lançait en l'air, le rattrapait, le faisait valser entre ses doigts. Elle avait toujours eut une affinité avec les couteaux. Elle savait s'en servir comme si elle avait fait cela toute sa vie. Cela impressionnait les uns, et effrayait les autres, mais une chose était sûre, ils se méfiaient tous d'elle. Mais Lily s'en moquait, cela ne l'avait pas empêché de se faire quelques amis. Et puis elle aimait parfois la douceur et le calme de la solitude.
Elle tourna un peu vite à un angle de rue, et percuta une personne. Reculant précipitamment, elle regarda l'homme qu'elle avait bousculé. Il était grand, large d'épaules et vêtu d'un grand manteau noir et d'un chapeau de la même couleur. Son air était dur comme l'acier, et tout aussi froid. Mais lorsqu'il vit la fille, et surtout le couteau qu'elle portait dans les mains, il sembla s'allumer.
"C'est un jolie couteau petite, je peux le voir?"
Méfiante, Lily recula en mettant son couteau hors de porté.
L'homme paru pourtant satisfait.
"Même à cette distance, impossible de s'y tromper, c'est bien le couteau d' "Elianne la sanglante". Et toi tu ne peux être que... On dirait que la chance nous sourit finalement."
Lily ne comprit pas ce qu'il racontait, mais de toute façon elle n'en aurait pas eut le temps. Car aussitôt l'homme la saisi par l'arrière du col de son t-shirt et la souleva de terre.
Lily cria, mais l'homme lui plaqua un maine sur la bouche.
"Chuuut petite. Nous autres nous aimons le silence et la discrétion. Je vais t'emmener là où personne ne te retrouvera plus, tu es promise à un grand avenir."
Lily lui mordit la main à pleines dents, y arrachant un bout de chair. L'homme grogna de douleur et frappa la fillette au front, l'assommant sur le coup.
Lorsqu'elle se réveilla, Lily se trouvait dans une cellule, seule, dans un lieu qu'elle ne connaissait pas. Devant elle, une série d'autres cellules s'alignaient sur un couloir sombre. Des cris et gémissements s'en échappaient.
Angoissée, Lily se recroquevilla dans un coin de sa propre cellule, les genoux remontés contre la poitrine.
Des hommes ne tardèrent pas à venir la chercher. Deux hommes en noir, identiques à celui qui l'avait amené ici, et un homme vêtu d'une blouse blanche avec un air de rapace qui effraya Lily.
Les hommes l'attrapèrent sans plus de cérémonie. La fillette hurla, se débattit, mais les hommes étaient trop forts. Ils l'emportèrent dans une salle pleine de néons où il l'attachèrent sur une chaise longue en cuir. Lily était terrifiée, elle voulait s'enfuir, mais elle ne pouvait rien faire. L'homme en blouse blanche s'approcha d'elle en enfilant des gants et tirant à coté de lui un plateau à roulette avec des ustensiles plus tordus les uns que les autres.
"Bienvenue sujet 66. Soyez fière, vous allez participer à une expérience de la plus haute importance."
Il attrapa un outils et l'examina avec attention.
"Voyez vous, vous détenez par votre mère un gène que nos recherchons depuis longtemps. Le gène "Sanguine". Vous savez vous battre comme un fauve, vous pouvez manier les couteaux comme peu de gens le peuvent. C'est une chance de vous avoir parmi nous aujourd'hui."
Il s'approcha doucement avec son outil. Lily versa des larmes.
"Je veux m'en aller, laissez moi rentrer chez moi pitié !"
L'homme eut un sourire à la douceur glaciale.
"Mais vous êtes chez vous ma chère, chez vous pour l'éternité."
Lorsque le métal perça sa peau, Lily hurla...
10 février 2012, Amsterdam, Centre de recherche secret, 07:50"Promenons nous, dans les bois..."
Lily gratta le mur une fois de plus. Ses ongles étaient en sang à force de gratter. Mais elle n'y faisait pas attention. Cela faisait longtemps qu'elle ne faisait plus attention à rien.
"Pendant que le loup y'est pas..."
Les yeux écarquillés, un sourire figé sur les lèvres, elle jetait des regards absents au plafond de sa cellule. Son bras gauche s'était de nouveau remit à saigner, il saignait tout le temps. Cela faisait longtemps que Lily ne regardait plus le membre atrocement mutilé.
"Soit sage petit renard, sinon les chasseurs vont venir te chercher.... Et ils vont te découper, encore, et encore... Et encore..."
Elle eut un petit rire et gratta de nouveau le mur.
Un bruit dans le couloir la fit sursauter.
"Le chasseur, il revient... Il revient petit renard..." chuchota elle avec frayeur.
Un des hommes en noir s'arrêta devant la porte de sa cellule. En sifflotant, il introduit la clef dans la serrure et ouvrit la cage. Puis il s'avança vers la petite fille recroquevillée contre un mur.
"Allez le numéro 66, c'est l'heure de faire un tour chez le médecin."
Il rit à sa propre blague puis saisi la fillette par le bras. Lily ne lutta pas, cela faisait longtemps qu'elle ne luttait plus.
Soudain, un bruit d'explosion secoua tout le couloir. L'homme en noir sursauta et lâcha Lily. Puis il se précipita à la porte pour voir ce qui se passait.
Lily entendait des hurlements, des cris, des coups de feu. Mais ce qui la fit émerger immédiatement de son état ce fut l'objet qu'elle remarqua à la ceinture de l'homme qui lui tournait le dos. Un couteau courbé au manche noir. SON couteau. Quelque chose dans son esprit tourmenté prit la place qui lui revenait de droit depuis des jours. Elle haïssait cet homme, depuis qu'elle l'avait rencontré dans la ruelle. Et à présent, elle savait ce qu'elle devait faire.
Comme un automate, elle se leva, avança tranquillement vers l'homme, trop occupé à essayer de comprendre ce qu'il se passait pour se soucier d'elle.
Elle s'empara alors du couteau et sauta au cou de l'homme. Surpris celui ci essaya de se débattre, mais déjà la lame lui passait sous la gorge, y traçant une large plaie. Il tomba à terre en gargouillant. Lily continua de le frapper avec son couteau bien après qu'il ai rendu son dernier souffle.
Puis elle se leva à nouveau et s'avança doucement dans le couloir. Deux hommes en noir et l'homme à la blouse accoururent alors vers elle et se figèrent en la voyant sortir de sa cellule. Lily ne s'arrêta pas pour autant. Son visage était couvert du sang de sa dernière victime, mais elle avait encore soif, elle voulait voir le rouge de leur sang.
Les deux hommes en noir se jetèrent sur elle. Sans en prendre réellement conscience, Lily les esquiva, agrippa l'un d'eux par le manteau et lui trancha le tendon d'Achille. L'homme tomba à terre et l'autre se retourna pour attaquer de nouveau. Mais Lily était déjà sur lui, et son couteau remonta tout le ventre de sa victime, déversant ses boyaux sur le sol. Abandonnant sa troisième victime sans plus d'attention, la fillette se tourna vers l'homme en blouse blanche. Son tortionnaire.
"Le chasseur... Il a perdu son fusil... Que peut il faire?..." chantonna légèrement Lily.
Terrifié, le concerné tourna les talons et s'enfuit. Mais Lily était plus rapide, en un bond elle s'était jetée sur lui et lui plantait son couteau dans les côtes.
Le scientifique tomba à terre en hurlant.
"Non non... Ne t'en vas pas tout de suite... Je n'ai pas encore joué avec toi..."
Et Lily leva son couteau.
Quelques minutes plus tard, le groupe d'intervention de la police arriva dans le couloir. Ils découvrirent une petite fille rousse, couverte de sang, un couteau courbé dans la main, entouré de trois cadavres découpés de la pire des façons. La fillette avait le regard vide et chantonnait une comptine, assise en tailleur.
11 février 2012, Amsterdam, Centre de recherche secret, 10:20Beaucoup de choses bougeaient autour de la fillette. Il y avait beaucoup de gens, beaucoup de bruits. Quelqu'un lui avait passé une couverture autour des épaules. On lui posa des questions, mais elle ne répondit pas. On lui donna à manger, mais elle n'avait pas faim, même après ces longs mois de privation.
Une jeune femme vint alors la voir. Elle était très belle, avec de grand cheveux blonds, des yeux très verts et un accent étrange. Elle caressa longuement les cheveux de la fillette pour la rassurer, puis lui demanda:
"Comment t'appelles tu?"
Lily la regarda. Elle pensa enfin à tout ce qui s'était passé, à tout ce qu'elle avait subit, à tout ce qu'elle avait entendu, et finalement répondit;
"Sanguine Evans..."
La femme lui caressa de nouveau les cheveux tendrement.
"Sanguine Evans, écoute moi. Des gens vont venir te chercher. Ils vont t'emmener dans un endroit où tu seras en sécurité, je te le promet. Mais toutes les deux on ne va pas se revoir, alors prend ça."
Elle sorti d'un sac une drôle de cape rouge à capuchon qu'elle noua autour du cou de Sanguine. Celle ci passa le fin tissu entre ses doigts. Rouge, une couleur rouge... Comme le sang... Sanquine aima immédiatement cette cape.
Elle releva les yeux vers la femme. Elle ne lui sourit pas, mais la femme comprit très bien le message.
"Si tu as peur, resserre cette cape autour de toi, elle te protégera tu verras. Là où tu vas aller, il y a plein de personnes comme toi, tu te sentiras comme chez toi."
Elle lui fit un sourire confiant, lui passa un dernière fois la main dans les cheveux, puis s'éloigna enfin.
2 mars 2012, océan pacifique, en direction du Japon, 13:40Penchée sur le bastingage, Sanguine observait l'horizon en rêvant. Elle gratta en réflexe le tissu qui masquait les blessures sur son bras gauche. Puis elle passa un doigts distrait sur le couteau courbé accroché à sa ceinture qu'on lui avait permis de garder.
Devant elle, loin devant, se tenait le nouveau pays dans lequel on les emmenait, elle et d'autres personnes qu'elle ne connaissait pas.
On lui avait parlé de pensionat inconnu de tous, de personnes comme elle, d'études, de bonne éducation, d'aide...
Mais pour l'instant peu lui importait. Pour l'instant elle laissait son esprit vagabonder à travers les flots, tandis que l'embarcation l'emmenait inexorablement vers son destin...