Il faisait nuit, nuit noire. Cachée derrière les nuages, la lune se riait de l’être qui avançait, silencieux et gracieux dans l’obscurité. La démarche assurée et fluide, une jeune femme tenait avec une grande précaution un paquet tout en long qui gémissait. On sentait le trouble qui émanait de la grande silhouette, au vu de ses oreilles affolées qui pointaient vers le ciel nocturne, tournant dans tous les sens, à l’affût. Deux yeux aux pupilles dilatées semblaient manger tout son visage aux traits félins tant la nuit était obscure. Ses longs cheveux plus noirs que la nuit donnaient à la scène une connotation plus lugubre encore. Cachée efficacement par les arbres, elle évoluait rapidement, mais avec une crainte non feinte. Une faible lumière se mit à émaner d’un endroit au loin. L’ombre féline se mit alors à hésiter, puis se remettre à marcher. Peu à peu, elle put voir devant elle une porte noire et massive. Elle lâcha une larme en posant le paquet devant celle-ci. D’une main maternelle, elle écarta les couvertures pour découvrir un visage de petit bébé. Un beau nourrisson fragile, aux beaux cheveux blonds et bruns, ce petit nez bestial, ces yeux fermés qu’elle savait ambrés. Et soudain, les images revinrent, belles et douloureuses.
Son itinéraire se refit alors dans sa tête, à l’endroit et à l’envers en même temps. Elle se vit quitter la forêt en marche arrière, puis revis ce visage, doux et charmeur, l’incarnation même de la beauté...un amour impossible... Elle revit ses mains, fines et minutieuses, cette sensation lorsqu’elles couraient le long de ses joues. Elle l’avait aimé et l’aimait encore, ne pouvant s’en empêcher. Elle eut un flash et le revis, effrayé et surpris lorsqu’elle lui avait annoncé la nouvelle, celle qui les avait tous deux figés sur place, elle était ravie, lui avait fait volte-face et n’était plus jamais revenu. Elle se souvint le goût des larmes qui coulaient jusqu’à sa bouche, un mois, deux mois...Des jours durant, elle avait tenté de le retrouver, trois mois, quatre mois, ses joues, à force de pleurs s’étaient creusées de sillons le long de la piste des larmes, cinq mois, six mois, c’est sérieusement qu’elle avait songé à se tuer, sept mois, huit mois, c’était cet être dans son ventre qui la poussait à toujours espérer...Neuf mois, un beau nourrisson était né à terme, déjà débordant d’énergie...
Et ce cri...
« Un démon, c’est un démon, regardez, ses oreilles ! »

Tout le ravissement s’était alors dissipé. Dans l’euphorie de la naissance, elle avait espéré naïvement que personne ne remarquerait rien, et c’est dans l’urgence qu’elle s’était précipitée à l’hôpital de la ville voisine, sans se soucier de rien d’autre qu’un bébé en bonne santé. Alors, vive comme l’éclair, elle s’était emparée du nourrisson. S’était levé avec autant de précaution que le pouvait sa rapidité, et était partie sans un regard en arrière. Dans son souvenir, les couloirs étaient interminables, infinis tant ils se ressemblaient. Elle se souvint d’une sensation d’avoir la tête nue, lorsque son couvre-chef était tombé. Elle avait eu l’impression de découvrir à nouveau ce sentiment de liberté que procure l'effet de ne rien avoir au dessus de soi pour lui faire de l’ombre. Depuis si longtemps, c’est habilement qu’elle cachait ses oreilles de félin, et sentir le vent s’engouffrer librement dans ses pavillons mobiles lui donna encore du courage. Elle entendit une nouvelle fois la course des infirmiers et des sages femmes derrière elle, mais ses longues jambes l’avaient sauvée, et elle manqua de renverser un homme en sortant comme une flèche du bâtiment blanc. Elle ne s’était pas arrêtée, s’était engouffrée dans les ruelles sombres, regagné son village en courant, et non en empruntant sa voiture, puis sans réfléchir, ni s’arrêter s’était engouffré dans la forêt qui jouxtait avec la limite des maisons. Et là, s’était arrêté brutalement, à bout de souffle, s’étonnant de son endurance. Puis elle se vit refaire en accéléré le trajet jusqu’au grand bâtiment tandis que la nuit tombait. Même malgré la vitesse des images, elle eut l’impression d’un trajet trop long.
D’une secousse mentale, elle revint au présent, l’enfant s’était endormi. Une larme coula, suivant les sillons qui lui restaient de son chagrin. Une dernière fois, elle serra les petits doigts entre les siens, caressa la minuscule joue rebondie du bébé, puis se mis à fouiller les poches, là, elle en sortit un papier froissé et un stylo, qui par chance avaient été abandonnés là pour une obscure raison. Sans aucune hésitation, elle griffonna un mot qu’elle abandonna sur la poitrine de l’enfant, tout héritage qu’il aura d’elle : son nom.
Un pas après l’autre, la jeune femme recula, ses yeux versaient des torrents de larmes. Elle tomba à genoux et se mit à labourer la terre de ses ongles. Elle emit un dernier sanglot de faiblesse, puis poussa la cri déchirant d’une lionne en proie d’un tel dilemme. Dans un bruit d’étoffe, elle prit l’apparence d’un chat et partit à toutes jambes, sans se retourner de peur d’avoir des regrets plus grands encore et, par un élan de folie, le reprendre. Elle ne savait pas exactement où elle allait, mais conaisait son but : elle partait, dans un autre pays, une autre ville, d’autre contrées, d’autres prés et forêts. Vivre, tant bien que mal, avec les hommes. Laissant sont seul souvenir de lui, mais aussi la moitié de son amour : sa fille.
La nuit noire, noire comme un four, ou plutôt un puits de chagrin l’engloutit, et plus personne n’entendit parler de la démones aux oreilles de lynx, de lionne, de tigresse, d’ocelot ou de tout autre félin.