Hana était comme à son habitude dans le coin Sud de la grotte bordant l'orée d'une partie du bois de Shinichi. Elle était nichée dans une cavitée grossièrement aménagée, qui lui servait d'endroit pour dormir et où ranger ses affaires. La succube avait vécu bien trop longtemps dans des positions distordues dans les Limbes ou dans des cartons en Inde pour se reposer complétement étendue sur un des lits douillets du pensionnat, pour l'instant du moins. Elle avait bien pris soin de prendre la cavitée la plus sèche de la grotte, car elle détestait l'humidité. Quelle idée, alors, de venir trouver refuge dans une grotte?! D'une part parce que la pluie serait de plus en plus fréquente et qu'il n'y avait que cet endroit ou Shinichi pour être au sec, et d'une autre car ces roches de calcaire creusées par l'eau, ces immondes mais sublimes protubérances qu'on nommait stalagtites et stalagmites la rendait nostalgique d'un morceau des Souterrains dans lequel elle avait eu l'occasion de vivre il y a plusieurs siècles, bien que ce laps de temps fût court.

Hana, qui était recroquevillée dans sa cavitée, les genoux repliés sur sa poitrine, avec entre les deux un bloc note sur lequel elle écrivait, vit son inspiration troublée quand elle entendit des pas. Quelques instants plus tard l'odeur qui parvint aux narines de la jeune succube lui confirma ce qu'elle redoutait : une personne se dirigeait réellement vers la grotte, ou passerait vraiment très près de celle-ci. L'indienne soupira, elle posa son bloc, et, tandis qu'elle sortait de son trou dans la roche pour s'étirer et faire craquer bon nombre de ses articulations, leva un bras et prononça un murmure inaudible. L'air se fissura dans un craquement, et Hana se faufila par celle-ci. Tout fut violet, confus, sombre, déroutant. Hana se dépêcha de sortir des Limbes en formant une autre fissure. Enfin! L'air libre! Hana n'était d'ordinaire pas claustrophobe mais quand elle passait dans la dimension des Limbes elle souhaitait vraiment y rester le moins de temps possible! Le sombre démon inspira l'air frais pour se rassurer, quand bien même le "voyage" n'avait duré qu'une fraction de seconde, le temps s'écoule différemment dans les autres dimensions. Elle était à présent à l'orée de la forêt, cachée dans l'ombre des grands arbres et de la nuit familière, et pouvait voir l'entrée de la grotte à quelques pas de là, ainsi qu'une jeune fille devant celle-ci.

Hana fit une moue contrariée. Un ange. Il n'y a vraiment qu'à elle qu'il arrive des choses de ce genre! pensa-t-elle. Serrant les dents, elle tourna la tête sur le côté et le même phénomène que précédemment se produit, à l'endroit où elle avait tourné la tête cette fois. La "porte" des Limbes ne produisait ce singulier et doux craquement, comme si réellement l'atmosphère se déchirait, que quand il s'ouvrait, et pas quand il se refermait. Aussi, juste avant de disparaître à nouveau dans le néant afin de revenir instantanément à la grotte, Hana vit la jeune fille angélique tendre l'oreille et le corps à ce son anormal dans le silence de la nuit.

Après l'ombre de la forêt, la voici retournée dans l'ombre du calcaire. La succube prit en vitesse son sabre démoniaque et l'accrocha à sa taille, dans l'enchevêtrement de ces tissus qui formait l'habit typiquement oriental qu'elle portait fièrement ; puis elle s'approcha tout doucement de l'entrée tout en prenant soin de rester dans l'ombre. Quelles ombres y a-t-il à minuit passé direz vous? Tout simplement car la lune, la pleine et reine Lune, faisait son bon rôle de miroir lumineux cette nuit! Elle réfléchissait assez de lumière pour pouvoir former quelques ombres, ce qui était magnifique. Elle paraissait géante et donnait à l'herbe glacée un halo bleuté saisissant. Hana se concentra sur la jeune fille à quelques mètres seulement, et vit qu'elle était en posture défensive après le craquement de tout à l'heure, vers le bois. Hana était tout sourire et toutes dents dehors, elle se retenait de rire même. Que c'était amusant! Elle ne pense pas une seule seconde qu'elle s'est trompée de côté pour le danger! Même si elle avait vu juste...

Alors Hana s'approcha au plus près, très près. Elle n'était à peine qu'à un mètre de l'ange, et pourtant avait pris ses précautions pour être toujours dans l'ombre de la grotte. La succube commenca la "conversation". Les sons qui s'échappèrent de sa machoire redevenue sérieuse et impassible ne furent qu'un murmure glacé et presque effrayant :


"...Bouh."


Sans qu'on puisse l'expliquer, l'écho de cette singulière apostrophe résonna encore longtemps dans le silence de la grotte, alors qu'elle était prononcée vers le dehors. Comme si la parole avait été aspirée vers l'intérieur juste après avoir caressé les tympans de son destinataire. Dans l'obscurité de la gueule béante de calcaire et de mousse on ne pouvait voir du démon que ses prunelles d'un violet sombre et perdu dans la folie, ainsi que le mince filet rose de sa lame.